Appel à communications

Alors que l’année 2025 marquera le centenaire de la naissance de Georges Delerue, le présent colloque organisé à l’Université d’Évry souhaite rendre hommage à l’un des plus féconds compositeurs du cinéma français, triplement césarisé pour les musiques des films Préparez vos mouchoirs (Bertrand Blier, 1978), L’Amour en fuite (François Truffaut, 1979) et Le Dernier Métro (Truffaut, 1980). En dépit de l’existence de quelques biographies, le musicien est encore peu présent dans la littérature scientifique. Il s’agira ainsi d’effectuer un premier bilan des recherches sur le compositeur et de poser de nouveaux jalons à l’étude de son œuvre.

Né le 12 mars 1925, Delerue entre au Conservatoire de Roubaix en 1939 où il étudie la clarinette, le piano et l’harmonie auprès de Francis Bousquet puis d’Alfred Desenclos en 1943. Il est ensuite admis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, dans les classes de fugue de Simone Plé-Caussade et de composition de Henri Büsser (auquel succède Darius Milhaud en 1947). Ses études se voient auréolées d’un certain nombre de distinctions et se concluent en 1949 par un Premier Prix de composition et l’obtention du Premier Second Grand Prix de Rome. Delerue se consacre ensuite à la direction et à l’écriture de musiques de scène, à des compositions pour la radiodiffusion et la télévision (notamment des films publicitaires), avant de diriger des enregistrements de musiques de film à partir de 1952, comme celles de Pierre Barbaud ou de Jean Grémillon. Il signe plusieurs musiques de courts-métrages, puis, à la suite de sa rencontre avec Pierre Kast, écrit sa première musique de long métrage pour Le Bel Âge (Kast, 1959).

La carrière cinématographique de Georges Delerue s’étend sur près de quarante années, embrassant la plupart des genres et courants de son époque. Musicien emblématique de la « Nouvelle Vague » depuis ses collaborations avec Agnès Varda (Du côté de la côte, 1958 ; Documenteur, 1981), Alain Resnais (Hiroshima mon amour, 1959), Jean-Luc Godard (Le Mépris, 1963) et surtout François Truffaut (de Tirez sur le pianiste, 1960 à Vivement dimanche !, 1983), il incarne également le cinéma populaire français dans toute sa diversité. Il s’est illustré dans les polars (Georges Lautner, Claude Sautet, Jean-Pierre Melville, Alain Cavalier), les drames (Claude Berri, Yannick Bellon), les comédies (Gérard Oury, Edouard Molinaro), les films d’aventures (Henri Verneuil, Philippe de Broca), ou encore les fresques historiques (Chouans !, Philippe de Broca, 1987 ; La Révolution française, Robert Enrico et Richard T. Heffron, 1989). Le cinéma documentaire n’est pas en reste au sein de la production du compositeur, qui a notamment travaillé aux côtés de Jean Raynaud (Les Ingénieurs de la mer, 1952), Jacques-Yves Cousteau (Le Testament de l’île de Pâques, 1978 ; Le Nil, 1989) ou Robert Pansard-Bresson (Tours du monde, tours du ciel, 1987).

La carrière de Delerue est aussi internationale, en particulier au sein du cinéma britannique avec des drames réalisés par Jack Clayton (quatre collaborations ) et des films historiques mis en scène par Fred Zinnemann (Un homme pour l’éternité, 1966) et Charles Jarrott (Anne des mille jours, 1969). Amorcé dès 1969 (A Walk With Love and Death, John Huston), le tournant hollywoodien du compositeur se renforce à partir de son installation à Los Angeles en 1983. Il remporte l’Oscar de la meilleure musique pour I Love You, je t’aime (George Roy Hill, 1979). Les États-Unis font alors figure de nouvelle terre d’accueil, loin de la mésestime et du manque de reconnaissance par ses pairs dont Delerue a pu souffrir en France (en particulier dans le milieu de l’avant-garde sérielle ) : « En France, faisant de la musique de film, on a du mal, dans le milieu musical “noble”, à avoir une bonne image de marque parce que l’on est dans le show-business. Ça n’existe qu’en France. En Italie, en Angleterre ou aux États-Unis, il n’y a pas ce problème . » S’il collabore avec des cinéastes américains comme Oliver Stone (Salvador, 1985 ; Platoon, 1986) ou Mike Nichols (Le Jour du dauphin, 1973 ; Le Mystère Silkwood, 1983 ; Biloxi Blues, 1988), il aura toujours à cœur de poursuivre parallèlement son travail au sein du cinéma français. Se nouent ainsi, dans la dernière partie de sa carrière, des rencontres avec Diane Kurys (Un homme amoureux, 1986) ou Pierre Schoendoerffer (Diên Biên Phu, 1992).

S’inscrivant dans l’héritage de Maurice Jaubert et tenant à préserver son indépendance au sein du système hollywoodien, Delerue met régulièrement en avant son appartenance à la tradition française de la musique de film. À la suite des prises de position célèbres de Jaubert à l’encontre du symphonisme hollywoodien des années 1930-1940, il fustige le synchronisme audiovisuel pratiqué à grande échelle, les illustrations musicales figuralistes et toute forme de « redondance » entre l’accompagnement musical et les images :

« Il fallait [...] éviter ce que je n’aimais pas dans les musiques américaines, ce que j’appelle le “robinet à musique” qui couvre un film d’un bout à l’autre, de même que le côté pléonasme si souvent présent. Des violons qui se mettent à sangloter dès qu’on entend pleurer une dame par exemple ! Tout cela était ridicule. »

Delerue se revendique alors de l’école du « contrepoint » audiovisuel, qui encourage « détachement » et « distanciation par rapport à l’image […], à la recherche de l’épure ». À ses yeux, ce contrepoint se concrétise lorsque « la musique intervient au moment où on ne peut plus dire assez de choses, ni avec le texte ni avec l’image, pour “exprimer l’inexprimable”, comme disait Debussy ». Cette prise de position esthétique marque une volonté de se démarquer d’un modèle culturel hégémonique en affirmant une spécificité nationale française, et de proposer d’autres formes d’utilisations de la musique pour l’écran – qu’il conviendrait de cerner et de définir plus précisément. Sa carrière prolifique ne se limite toutefois pas à son travail pour le cinéma : le compositeur s’est également largement illustré dans les domaines de l’opéra (Le Chevalier de neige), de la musique de scène (L’Alcade de Zalamea), du ballet (Les Trois Mousquetaires) et des spectacles « sons et lumière » (La Cinéscénie du Puy du Fou illustrant l’histoire de la Vendée, 1982-2002), et a écrit pour la radio (indicatif de l’émission Radioscopie créée par Jacques Chancel) et la télévision (téléfilms historiques ; série télévisée Thibaud ou les Croisades de France Bennys et Henri Colpi, 1968 ; mini séries Jacquou le Croquant réalisées par Stellio Lorenzi en 1969 et Les Rois maudits de Claude Balma en 1972-1973). Enfin, son œuvre pour le concert compte une trentaine d’opus répartis à peu près également entre musique pour orchestre (œuvres concertantes et suites d’orchestre), musique chorale (Prières pour les temps de détresse, mélodies…) et musique de chambre (quatuors à cordes, quintette de cuivres, sonates…).

C’est à cette œuvre immense et foisonnante, parcourue de tensions entre exigence artistique et nécessités commerciales, formes brèves et développement symphonique, mélodies populaires et atonalité, chanson et vocalité opératique, que nous souhaitons consacrer ce colloque-hommage. Les propositions de communications s’attacheront à dégager les lignes fortes de l’œuvre de Delerue et de ses collaborations artistiques à travers les axes suivants (liste non exhaustive) :

  • duos artistiques : étude de tandem, pérenne ou plus éphémère, formé par Delerue avec des réalisatrices et metteurs en scène (toutes nationalités confondues) ;
  • traits saillants du style compositionnel et de l’approche esthétique de Delerue (recherche de la « belle mélodie », goût pour le langage baroque, rejet global des synthétiseurs) situés dans leur contexte – musiques pour le concert, le spectacle vivant ou les arts de l’écran ;
  • étude des intramusicalités extrafilmiques et filmiques7 dans l’œuvre de Delerue ;
  • étude de la singularité de l’écriture de Delerue au regard des conventions musicales des genres cinématographiques et de l’histoire des musiques dans les cinémas français, américain et britannique ;
  • intertextualités musico-cinématographiques : analyses des reprises des musiques de Delerue
  • dans d’autres films, à l’image du célèbre thème de Camille du Mépris réemployé dans Casino (Martin Scorsese, 1995), ou du thème associé à Barbara et Julien de Vivement dimanche !, repris dans 2046 (Wong Kar Wai, 2004) ;
  • étude des compositions de Delerue pour la radio et la télévision ;
  • études des œuvres de concert et scéniques de Delerue ;
  • réception et héritage des musiques de Delerue.

Les propositions de communications, dont la longueur n’excèdera pas 2 000 signes, sont à adresser conjointement à Chloé Huvet (chloe.huvet@univ-evry.fr) et Jérôme Rossi (jerome.rossi@univ-lyon2.fr) avant le 30 septembre 2024. Elles doivent comporter un titre, un résumé et une courte biographie. Les langues acceptées pour le colloque sont le français et l’anglais.

Bibliographie indicative

  • Bastié, Daniel, Georges Delerue. La musique au service de l’image, Grand Angle, 2014.
  • Cazals, Thierry, « Entretien avec Georges Delerue », Cahiers du cinéma, n° 393, mars 1987, p. VIII-IX.
  • Comolli, Jean-Louis, Georges Delerue. Musiques de films, CNC, ADAV, 1994.
  • Cuenot, Pascale, Bandes Originales : Georges Delerue, documentaire, 2010.
  • De Baecque, Antoine et Gilles Mouëllic (dir.), Godard/Machines, Crisnée, Yellow Now, 2020.
  • Gimello-Mesplomb, Frédéric, Georges Delerue, une vie, Hélette, Jean Curutchet, 1998.
  • Guigue, Arnaud, Truffaut & Godard, Paris, CNRS Éditions, 2014.
  • Huvet, Chloé, « Vivement Dimanche ! de Georges Delerue (1983) : un hommage distancié aux films classiques américains », dans Jérôme Rossi (dir.), La musique de film en France : courants, spécificités, évolutions, Lyon, Symétrie, 2016, p. 133-160.
  • Jomy, Alain et Dominique Rabourdin, « Les musiciens du film (II). Georges Delerue », Cinéma 72, n° 259-260, juillet/août 1980, p. 74-81.
  • Jousse, Thierry, Les B.O. de Georges Delerue : Blow Up, Camera Lucida Productions, 2023, https://www.arte.tv/fr/videos/112557-058-A/blow-up-les-b-o-de-georges-delerue/.
  • Perrot, Vincent, Georges Delerue, de Roubaix à Hollywood, Chatou, Carnot, 2004.
  • Prot, Robert, Jean Tardieu et la nouvelle radio, Paris, L’Harmattan, 2006.
  • Rebichon, Michel, « Georges Delerue Fortissimo », Studio, n° 2, avril 1987, p. 94-99.
  • Rossi, Jérôme, « Les opéras de Georges Delerue : post-debussysme et modernité », dans Cécile Auzolle (dir.), La création lyrique en France depuis 1900, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 225-244.
  • ––, « Un “opéra radiophonique” : Ariane de Georges Delerue et Michel Polac », Revue LISA/LISA e-journal [En ligne], vol. XII, n° 6, 2014, https://journals.openedition.org/lisa/6660?lang=en
  • ––, « Le langage néo-baroque dans la musique de films de Georges Delerue : un fécond anachronisme », Bernadette Rey Mimoso-Ruiz et Gérard Dastugue (dir.), Numéro spécial Musique et cinéma, harmonies et contrepoints, Toulouse, Inter-Lignes, 2010, p. 203-219.
  • Steinegger, Catherine, La musique à la Comédie-Française de 1921 à 1964. Aspects de l’évolution d’un genre, Sprimont, Mardaga, 2005, p. 171-176.
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